Ces venins qui nous veulent du bien


Un crotale américain remarque les intrus et émet un bruit de crécelle. «Il signale qu’il est là», explique Rémi Ksas, guère impressionné par le son inquiétant.

Crotales, vipères, mambas ou cobras: chez Venom World, la société de M. Ksas, 850 serpents d’une soixantaine d’espèces sont élevés, dans la quiétude d’une petite zone industrielle française, à Saint-Thibault-des-Vignes près de Paris.

Le but? Extraire leur venin, qui intéresse de près la recherche et l’industrie pharmaceutique, dans l’espoir d’y déceler des molécules à potentiel thérapeutique.

La méthode de M. Ksas est bien huilée. A l’aide d’un long crochet en métal, il extirpe d’une boîte un bothrops jararaca – un crotale brésilien – puis l’immobilise au sol.

La gueule ouverte fermement maintenue, le reptile est ensuite transporté à mains nues devant un verre coiffé d’un parafilm. L’animal y plante ses crocs et crache son venin, dont les glandes à l’arrière de la mâchoire sont stimulées par les doigts experts de M. Ksas. L’opération ne prend que quelques secondes.

Chaque animal est prélevé une fois par mois seulement, pour limiter son stress et lui permettre de reconstituer sa substance venimeuse.

Une fois purifié et lyophilisé, un venin de serpent vaut de 280 à 7000 dollars le gramme, explique M. Ksas. Chez les scorpions, dont il s’occupe aussi occasionnellement, le gramme peut monter jusqu’à 28 000 dollars.

«Si on produit 400 à 500 grammes secs de venin par an, c’est déjà bien», estime l’entrepreneur.

170 000 espèces d’animaux venimeux

À Grenoble, la biotech Smartox a fait de l’analyse et du fractionnement des molécules de venins sa spécialité. Elle a noué ces dernières années des partenariats de recherche avec le français Sanofi, l’allemand Bayer ou encore le canadien Xenon Pharmaceuticals.

«Les venins sont connus depuis l’Antiquité pour avoir des vertus thérapeutiques. Mais jusqu’à récemment, cette piste n’avait pas été beaucoup étudiée par l’industrie pharmaceutique», qui s’est longtemps concentrée sur des molécules d’origine chimique, rappelle à l’AFP Rémy Béroud, PDG de Smartox.

Un venin contient plusieurs centaines de molécules, dont la plupart sont des toxines peptidiques. Chacune d’elles a une fonction ultra-précise, en agissant sur des récepteurs à la surface des muscles, des neurones ou des organes, pour les bloquer ou les activer.

Des propriétés qui, à faibles doses, pourraient avoir des effets bénéfiques contre des pathologies aussi variées que le diabète, les maladies cardiovasculaires, l’obésité, les dysfonctions rénales ou encore les maladies neurodégénératives.

«Les venins sont une source énorme de peptides originaux avec une visée thérapeutique potentielle», commente Patrick Jimonet, responsable des opportunités externes pour la recherche en amont de Sanofi, interrogé par l’AFP.

Sanofi mène des recherches autour des venins sur des axes thérapeutiques difficiles, où il est compliqué de trouver des solutions avec des molécules de chimie de synthèse classiques, explique le chercheur.

Il existerait environ 40 millions de toxines différentes issues de quelque 170 000 espèces d’animaux venimeux recensées dans le monde.

Une banque de venins au frigo

Pendant plus de trois ans, le projet européen public-privé Venomics a étudié les données des gènes et protéines de venins de 203 espèces animales, des araignées aux serpents en passant par les frelons.

Venomics a identifié, caractérisé et reproduit in vitro 3 600 toxines, ce qui en fait la plus grande banque du genre au monde.

Mais son écrin est pour le moins modeste: un banal réfrigérateur, dans un laboratoire du campus de Paris-Saclay, dans l’Essonne au sud de Paris.

«Ces toxines ont été optimisées par des millions d’années d’évolution. Et ce que la nature produit est toujours biologiquement actif», vante Nicolas Gilles, coordinateur du projet Venomics.

Mais il faudra trouver des groupes pharmaceutiques qui seraient intéressés par le fait d’accéder à cette banque, pour des cibles précises et moyennant finances.

A part le Byetta, un anti-diabétique inspiré de la salive d’un lézard venimeux, «il n’y a pas encore eu de blockbuster pour une toxine, et ça, ça manque» pour convaincre les industriels, selon M. Gilles. Et nombre d’entre eux ont toujours «un a priori négatif» sur les venins, dit-il.

Les venins sont «une approche complémentaire, il n’y a jamais une seule solution» pour contrer une maladie, souligne M. Jimonet de Sanofi.



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